Un livre et un film
Pierre-Marie Terral : Larzac, de la lutte paysanne à l’altermondialisme, Privat éd., 2011, 464 p.
Christian Rouhaud : Tous au Larzac,
distributeur : Ad Vitam, 2011, 1 H 58.
Gardarem lo Larzac !
Vous allez au cinéma. Avez-vous vu Tous au Larzac, le film de Christian Rouaud qui ne date que de 2011 ? C’est Claude Voron, un ancien réfractaire à la guerre d’Algérie qui m’a emmené voir ce film. J’en suis sorti enthousiaste ; et Claude m’a aussitôt offert le livre de Pierre-Marie Terral qui traite du même sujet. D’ailleurs, ce film, on peut le télécharger maintenant (et il est disponible à l’achat en DVD)…
Par ailleurs, certains se demanderont pourquoi recenser ce livre de Terral sur le Larzac alors que tout se trouve sur Internet, ou quasiment. Ce livre papier, à peu près exhaustif − c’est une thèse d’histoire −, assez admirablement conçu, raconte l’histoire d’une lutte très complexe, politique, économique, sociale, écologique, culturelle, non-violente et aussi antimilitariste. Dix années d’une épopée, d’une « aventure collective, dans laquelle les femmes ont pris une part prépondérante ». Pour preuve, le 2 juillet 1976, lors d’un procès pour destruction de documents, sur 22 personnes prévenues, 17 étaient des femmes.
1971, rappelez-vous ! C’est sur le plateau du Larzac, région ignorée de presque tout le monde, chez des paysans à l’ancienne plutôt attachés à l’ordre et à la religion et penchant à droite lors des élections, que l’armée française décide une extension de son camp militaire situé en plein milieu des pâturages à moutons.
Nous savons maintenant qu’un certain Robert Siméon, autre réfractaire à la guerre d’Algérie (voir octobre 1961), déclencha l’alarme auprès de ses amis du mouvement antiatomique et également chez les non-violents de la communauté de l’Arche. Et une première manifestation sera organisée : une marche de protestation à laquelle ne prendront pas part les paysans concernés. Voir rubrique.
Il faut souligner, de plus, que les intérêts économiques des autochtones ne convergeaient pas avec des exploitants modernistes, plus récemment installés, et qui pratiquaient une traite mécanique des brebis. Ne convergeaient pas non plus les différentes idéologies en présence.
Il y avait là une situation sérieusement embrouillée qui débouchera pourtant sur une relative entente générale.
Et, très vite, le plateau va devenir une « vitrine de la contestation », un « haut lieu de la France militante » pour une jeunesse d’extrême gauche dont des maoïstes adeptes de la violence. Violence qui sera cependant rapidement neutralisée par une stratégie non-violente impulsée par Lanza del Vasto qui entreprend, à Pâques 1972, un jeûne de quinze jours. Voir, en fin de rubrique.
« La question de la non-violence, surtout avec le rapport aux gens du MAN, m’a fait évoluer, j’ai pris de plus en plus conscience que le choix des moyens n’était pas sans rapport avec le type de société qu’on voulait construire », pouvait témoigner l’ancien gauchiste Gilles Lemaire en 2007.
On peut s’étonner d’un tel engagement rural et non-violent quatre années après les barricades citadines de Mai 1968 ; on peut s’étonner que ces paysans bougent enfin, eux qui, pendant la guerre d’Algérie, avaient été totalement indifférents aux manifestations non-violentes contre les camps d’assignation à résidence pour les Algériens suspects ; autrement dit, nos « camps de concentration » de l’époque, installés « chez eux », les paysans. Voir Les premiers pas de l’ACNV, 1957-1960 et Les Trente à Paris, avril-mai 1960.
Ce tournant vers l’action non-violente sera effectif quand de nombreux curés prendront position tant pour les paysans que pour l’action non-violente. À l’issue du jeûne de Lanza del Vasto, 103 d’entre eux sur 109 prêteront serment de ne pas quitter leurs terres. La communauté des paysans du Larzac était née avec deux armes : les tracteurs, signe de l’entrée dans la modernité, et les brebis, le symbole pacifique que l’on connaît.
Cela se traduira concrètement par une montée des tracteurs sur Paris et par un lâcher de brebis sur le Champ de Mars.
Puis il y eut le choix franc de l’illégalité par le refus de l’impôt, ou plutôt le refus de la part de 3 % de l’impôt militaire ; ces sommes non acquittées étaient alors reversées pour la construction d’une bergerie, à la Blaquière, sur les terres convoitées par l’armée, action tout autant illégale.
Ensuite, en avril 1973, une soixantaine d’agriculteurs renvoient leur livret militaire pour contester une décision du ministère de la Défense nationale.
Cependant, dans la nuit du 9 au 10 mars 1975, une explosion souffle la maison d’un paysan ; pas de blessés. Cette action faillit bien arrêter le mouvement car les acteurs − bergers, exploitants, paysans, etc. − dirent leur profond désaccord devant une telle action, une telle extrémité, d’où qu’elle vienne. Quant aux coupables, ils courent toujours.
Août 1973 verra l’arrivée de près de 100 000 personnes sur le plateau du Larzac témoignant d’une solidarité bariolée venue de tous les coins de France et aussi de l’étranger.
La lutte continuera après mai 1974 et l’élection à la présidence de la République de Valéry Giscard d’Estaing avec la faible avance de 50,8 % de suffrages, ce jusqu’en 1981 et l’accession de François Mitterrand à la présidence de la République qui signera en quelque sorte la victoire des paysans du Larzac avec l’abandon du projet d’extension du camp militaire.
Mais l’arrivée de la gauche au pouvoir concordera avec un affaiblissement des luttes ; pour beaucoup, la mobilisation au quotidien n’avait plus lieu d’être ; on verra même une négociation avec le gouvernement s’instituer. Cependant : « Alors que le basculement politique de 1981 avait eu pour corollaire la mise en sommeil du mouvement social, celui-ci renaît de ses cendres dans la décennie suivante avec le retour de la droite au pouvoir », écrit, p. 251, l’auteur du livre.
Et la question se posera alors de savoir comment continuer la lutte.
Toute lutte suscite des leaders. Le Larzac n’échappe pas à la règle. C’est ainsi que nous avons vu émerger plusieurs personnages avec de fortes individualités dont un certain José Bové qui se veut n’être qu’un simple porte-parole.
Ainsi nous revient régulièrement la gestion de la dialectique entre l’esprit collectif et l’irruption de l’individu charismatique. Nous avons connu Durruti, Makhno, le sous-commandant au passe-montagne, le « Che » ; et la liste n’est pas close.
Une lutte comme celle du Larzac en a suscité, en a préparé d’autres, en a mis en avant certaines : celle de Kanaks, celle des Lip (dont le même Christian Rouaud a d’ailleurs fait un film), celle des Mexicains du Chiapas, celle des paysans brésiliens sans terres, celle des Palestiniens pour la non-violence, celle des Kurdes ; et bien d’autres encore :
« D’une résistance locale ayant pour objet la terre, le Larzac est passé à une lutte globale ayant pour objet la Terre. » Et c’est bien le sous-titre de ce livre : De la lutte paysanne à l’altermondialisme.
Ces luttes, il conviendrait d’y revenir et de les étudier comme en d’autres endroits on étudie les batailles d’Austerlitz, de Waterloo, le Blitzkrieg et j’en passe. Car la lutte non-violente est une guerre à sa façon dont il convient de comprendre le déroulement.
Le Larzac a été et reste un laboratoire d’idées, un laboratoire pour l’action, un laboratoire du futur.
André Bernard, chronique du 6 septembre 2012 dans l’émission « Achaïra », du cercle libertaire Jean-Barrué, sur la radio associative bordelaise la Clé des ondes.
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Voir aussi le récit de ces événements par deux réfractaires, Robert Siméon et Claude Voron, qui y paricipaient