« Tout ce dont nous avons besoin est d’un peu plus de courage de la part du monde » (Omar Barghouti)
Alors que depuis la pandémie, on n’entend plus parler d’Israël qu’en terme élogieux pour sa campagne de vaccination, le 8 mai 2021, sur les ondes, on apprend que des Palestiniens ont lancé des projectiles sur la police israélienne qui a répliqué en faisant usage de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc : plus de 200 blessés, la plupart sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est. Puis ce sont des tirs de roquettes du Hamas vers Israël qui a répliqué par des bombardements intensifs sur Gaza qui ont fait une trentaine de morts.
Seraient-ils fous et suicidaires ces Palestiniens pour provoquer ainsi Israël ?
La question ne peut se poser que si l’on passe sous silence, comme il a été fait sur nos médias, la violence qui leur est faire quotidiennement et, dans les temps récents, l’interdiction qui leur a été faite de se rassembler, depuis le début du Ramadan (12 avril) à la porte de Damas de Jérusalem, les marches concomitantes de l’organisation kahaniste Lehava dans la vieille ville de Jérusalem, aux cris de « mort aux Arabes », l’investissement par la police de l’esplanade des Mosquées et même de la Mosquée al-Aqsa (avec des tirs au sein même de la Mosquée) tandis que, non loin de là, dans le quartier de Cheikh Jarrah, la police se heurtait à la résistance de Palestiniens contre l’expulsion (le vol) de Palestiniens (déjà réfugiés) de leurs habitations au profit de colons afin de poursuivre la judaïsation de Jérusalem.
Ainsi le tour de passe-passe est réussi et l’agressé devient l’agresseur d’une prétendue victime qui allègue la légitime défense !
Mais là où il est question d’une explosion de violence, il faut bien constater que la violence dont sont victimes les Palestiniens est permanente, omniprésente, endémique et n’apparaît sur nos médias que lorsque des intérêts d’Israël sont touchés.
Cette violence est inhérente à l’apartheid (voir notamment les rapports de Richard Falk et Virginia Tilley pour la Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale des Nations Unies et des ONG de défense des droits de l’homme, B’Tselem, israélienne et Human Rights Watch, américaine) dont sont victimes les Palestiniens, quels qu’ils soient, de Cisjordanie, de Gaza, « citoyens » d’Israël, réfugiés, exilés. Inhérente à la politique de colonisation et d’occupation. Et c’est pourquoi « en Palestine, l’histoire se répète. Régulièrement, inexorablement, impitoyablement et c’est toujours la même tragédie… » (Alain Gresh – directeur du journal en ligne Orient XXI – dans un article du Monde Diplomatique du mois de juin 2021).
Mais cette fois, cette explosion a provoqué des surprises :
• La première d’entre elles a été que le conflit a reconstitué l’unité du peuple palestinien fragmenté par la politique d’apartheid et de colonisation. Pour la première fois, les Palestiniens de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie, de Gaza, de la diaspora mais aussi, d’Israël ont lutté en commun.
• La deuxième est la force de la réaction de la jeunesse palestinienne, privée d’horizons, frustrée d’élections qui viennent d’être annulées, qui aspire à une nouvelle vision de l’avenir et qui a « brisé la barrière de la peur » (Inès Abdel Razek est directrice du plaidoyer pour le Palestine Institute for Public Diplomacy – Mediapart - 11 mai 2021)
• Et la troisième résulte des failles du « dôme de fer » censé protéger la population israélienne des roquettes dont certaines ont tout de même atteint Tel-Aviv ou Jérusalem (12 morts Israéliens) faisant vaciller une invulnérabilité qui paraissait acquise.
11 jours de bombardements intensifs ont laissé Gaza en lambeaux. Après les massacres précédents (2008-2009, 2012, 2014) un rapport de l’ONU, en 2017 confirmait une précédente étude (2012) qui prévoyait que Gaza deviendrait « inhabitable » d’ici 2020 si rien ne changeait. Que dire de ce qu’il peut en être après la répression féroce des marches du retour (2018-2019) à laquelle s’ajoutent ces bombardements !
Les bombardements sur Gaza ont fait 250 mort.e.s en 11 jours. Parmi les victimes, 68 enfants. Plus de 2000 Palestinien.ne.s ont été blessé.e.s et des dizaines de milliers de personnes sont déplacées et sans abri. Des familles entières ont disparu. Des quartiers entiers ont été effacés. Treize grands immeubles, cinq cent cinquante maisons, soixante-cinq bâtiments publics, dix-neuf usines, vingt-neuf agences de presse, trois pharmacies, cinquante magasins, cinq nappes d’eau souterraines, trente puits ont, notamment, été détruits. Vingt-sept écoles, trois universités, la station de traitement des déchets, dix stations électriques, onze cliniques et centres médicaux, douze mosquées, cinq cimetières, quatre marchés publics, le réseau routier, les stades, sans compter les terres agricoles, etc ont été endommagés.
Sans mettre fin au blocus – égyptien et israélien – qui étrangle les 2 millions d’habitants de Gaza, le « retour au calme » allégué après le cessez-le-feu est une sinistre illusion. Il n’y a pas de calme possible dans un ghetto à l’agonie.
Et le cessez-le-feu obtenu sous la pression internationale n’a pas éteint le feu ailleurs et, notamment, en Israël. Pendant les bombardements de Gaza, dans les villes dites « mixtes », aux émeutes de jeunes Palestiniens ont succédé des marches d’extrémistes juifs, assurés de leur supériorité car autorisés au port d’armes, venus d’ailleurs, appelant à « tuer les Arabes » et multipliant les lynchages. Par la suite, moins d’une dizaine de juifs ont été interpellés, accusés d’avoir participé au lynchage d’un automobiliste arabe, sous l’œil des caméras de télévision du pays, quand des centaines de Palestiniens ont été arrêtés, battus et humiliés lors de leur arrestation. Une répression qui se poursuit.
Le 18 mai, les Palestiniens ont mené une grève générale historique, donnant un remarquable spectacle d’unité et de force. Beaucoup y ont ensuite perdu leur emploi.
Cela étant et quelle que soit la précarité de la situation, ces tragiques événements ont replacé la question de la Palestine au centre de l’attention médiatique et diplomatique et, sans doute, impulsé un renouveau au sein même du peuple palestinien. Le retour de la Palestine au premier plan est un rappel qu’il n’y aura pas de stabilisation au Moyen-Orient qui ne vaille pour elle aussi.
L’impunité de l’Etat d’Israël s’en trouve grandement ébranlée.
Déjà, la Cour Pénale Internationale (CPI) a décidé au mois de mars dernier d’ouvrir une enquête pour les crimes commis depuis juin 2014 dans les territoires palestiniens occupés. Depuis et s’agissant des frappes israéliennes sur la bande de Gaza, la procureure Fatou Bensouda a noté la commission de possibles crimes de guerre qui pourraient être inclus dans cette enquête, comme l’a fait aussi, le 27 mai, Michèle Bachelet, Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme. Le survivant d’une famille décimée à Gaza en a d’ailleurs déjà saisi la CPI.
Et, fait historique, le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies a créé, le 26 mai 2021 une Commission chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et en Israël sur toutes les violations présumées du droit international humanitaire et des droits humains commises depuis le 13 avril 2021, ainsi que sur toutes les causes profondes de ces atteintes au droit.
S’agissant du peuple palestinien, La direction du Fatah a eu conscience qu’un changement d’époque s’est produit. Jibril Rajoub, secrétaire du Comité central du Fatah a admis, lors d’une interview accordée à une chaîne télévisée saoudienne le 19 mai, qu’une « nouvelle réalité » s’est imposée, et que « les choses ne reviendront plus à ce qu’elles étaient avant le 10 mai 2021 ». Marwan Barghouti, député emprisonné, a appelé depuis sa cellule à poursuivre et structurer le soulèvement en cours – et à réformer l’OLP en intégrant le Hamas. Deux jours après la publication de sa lettre du 15 mai, il a été mis en isolement carcéral par les Israéliens.
Le Hamas, le Fatah et l’ensemble des partis politiques palestiniens font un constat commun : une page s’est définitivement tournée sur les accords d’Oslo, et une nouvelle conjoncture politique s’est ouverte, toute la question étant celle de leur coordination, et de la traduction politique du soulèvement sur le long terme.
Omar Barghouti (défenseur palestinien des droits humains et co-auteur de l’appel lancé aux citoyens du monde entier au boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) d’Israël tant que le droit international n’est pas respecté) a rappelé, le 14 mai, qu’ « Aujourd’hui, plus que jamais, les Palestiniens disent au monde que la vraie solidarité avec notre lutte pour la liberté, la justice et l’égalité s’appelle BDS. Nous ébranlons chaque jour notre mur de peur et nous n’avons pas besoin de juste « un peu plus de courage » (…) mais d’une explosion de solidarité significative qui mette fin à toute complicité avec l’oppression israélienne ».
Dans l’esprit de cette campagne BDS, dans l’esprit de la grève générale menée, les principales fédérations syndicales de Palestiniens ont lancé un nouvel appel international destiné, cette fois, aux syndicats du monde entier à arrêter le soutien matériel aux crimes d’Israël (par exemple, Le syndicat italien indacale di Base (USB) de la ville toscane de Livourne a montré la voie en refusant de charger une cargaison d’armes dans un navire en direction d’Israël, expliquant : « Nous ne voulons pas être complices du massacre des civils palestiniens ». Une semaine plus tard, le syndicat des travailleurs sud-africains du transport et assimilés (SATAWU) a refusé de décharger le Zim Shangaï qui appartient à la compagnie israélienne Zim Lines. Des dockers d’Oakland, en Californie, projetaient aussi de refuser de décharger un autre navire israélien avant qu’il ne soit dévié).
Comme dit Omar Barghouti « tout ce dont nous avons besoin est d’un peu plus de courage de la part du monde ».
Geneviève Coudrais