La deuxième journée de la Conférence était consacrée à la visite d’autres villages palestiniens menant une résistance non-violente. J’ai pour ma part participé à la visite de villages, dans la vallée du Jourdain qui m’a particulièrement impressionnée.
(compte-rendu d’une visite effectuée par des militants de l’AFPS, organisée dans le cadre de la « Troisième Conférence Internationale sur la Lutte Populaire Non-Violente de Bil’in » en juin 2008).
Dans la Vallée du Jourdain un véritable nettoyage ethnique est en cours, qui a déjà réduit, dans l’ignorance générale, la population palestinienne autochtone de 250 000 habitants en 1967 à 50 000 actuellement. Les habitants que nous avons vus se définissent eux-mêmes comme une « Bande de Gaza oubliée ». La comparaison est valable au-delà de l’imaginable en ce qui concerne les privations imposées à la population par les autorités israéliennes pour les pousser au départ et leur « enfermement » dans de petites enclaves entre le Jourdain et les collines. Par contre, elle ne tient pas en ce qui concerne la densité de population, extrêmement faible, ni en ce qui concerne l’objectif d’Israël, qui dans la vallée du Jourdain, est l’expulsion des Palestiniens vers la Jordanie voisine, et l’appropriation totale de l’approvisionnement en eau et des terres cultivables ainsi que le contrôle exclusif de la frontière est.
Dans ces circonstances, la résistance non-violente ne peut pas se traduire, comme en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, par des manifestations pacifiques. L’habitat est beaucoup trop dispersé, les ONG, la communauté internationale, les pacifistes israéliens et les télévisions sont loin de l’autre côté des collines, il n’y a pas un « Mur » visible qui symbolise l’annexion des terres.
Cette résistance se traduit donc essentiellement, par une volonté farouche de survivre dans ce qu’il reste de leurs villages, ce qui passe par la reconstruction indéfinie des maisons détruites, par le maintien de quelques activité agricoles (malgré une absence quasi totale d’eau), et par le combat pour le maintien d’une école dans le souci de donner une instruction nécessaire à tous les enfants.
D’où la devise « Exister c’est Résister » de l’association JordanValleySolidarity, récemment fondée pour coordonner la résistance des villages de la Vallée.
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La Vallée du Jourdain borde la Cisjordanie à l’est (en blanc sur les cartes). Elle est complètement fermée, à l’est par le Jourdain que ne traversent que 2 ponts sous contrôle militaire israélien, et à l’ouest par un série de check-points sur tous les axes praticables (représentés à droite par le signe de sens interdit), les autres étant coupés par des obstacles fixes. L’ensemble forme une « frontière » représentée en vert sur la carte de gauche. Etant donné la faible densité de population, il est inutile de construire un Mur continu comme en Cisjordanie occidentale. Les colonies sont indiquées en bleu sur les deux cartes, et les habitats palestiniens en beige (uni = zone A sous contrôle palestinien, hachuré de rouge = zone B sous contrôle sécuritaire israélien). Le nom des 3 premières colonies, construites dés 1968 est indiqué en violet. Les deux villages que nous avons visités, Fasayil et Jiftlik sont représentés par des croix jaunes sur la carte de gauche, et des flèches sur le zoom de droite.
La Vallée du Jourdain occupe 28,5 % du total de la superficie de la Cisjordanie. Elle dispose de nombreuses sources au pied des collines qui la bordent à l’ouest, de terres fertiles et la Mer Morte est riche en sels minéraux, de sorte qu’elle offrirait un grand potentiel pour la construction d’un Etat palestinien viable, d’autant que sa frontière avec la Jordanie constituerait sa seule ouverture vers l’étranger. Ce sont ces raisons mêmes qui font qu’Israël y maintient une occupation, mal connue, par la confiscation des terres et la destruction des maisons, par l’appropriation des sources d’approvisionnement en eau, par des restrictions drastiques à la circulation et à toutes les activités des habitants palestiniens, et par une forte présence militaire.
Comme nous l’avons constaté, tous les accès à la Vallée du Jourdain par les routes venant de l’ouest sont bouclés par un barrage militaire (« check-point ») au pied de la ligne de collines qui la bordent. Aucun Palestinien ne peut y pénétrer, sauf s’il y a sa résidence (y avoir ses terres ne suffit pas). Dès que notre car est arrivé au pied des collines, il a dû s’arrêter à un barrage militaire permanent. Un soldat arrogant voulait faire sortir tous ces étrangers sous le soleil de plomb pour « vérifier leurs papiers ». Son supérieur qui, lui, avait intégré l’importance de l’image d’Israël que nous pouvions rapporter dans nos pays, est venu le calmer, nous dispenser de contrôle, et nous dire très gentiment de rester à l’abri. Par contre, notre chauffeur palestinien, domicilié en Cisjordanie centrale, a mis plus d’une demie-heure à les convanicre de le laisser passer (et nous avec). Va-t-il pour cela avoir des ennuis, nous le savons pas. Quant à notre guide, une jeune femme qui rentrait dans son village de la Vallée du Jourdain, elle s’est fait promettre de graves rétorsions (nous ne savons pas lesquelles) pour être sortie de sa « prison ». En effet, les résidents palestiniens sont aussi empêchés par l’armée de sortir, même en cas de problème médical (un Palestinien rencontré à Jiftlik nous a raconté qu’un de ses enfants ayant été piqué par un scorpion, il voulait l’emmener à l’hopital à Naplouse. L’armée lui a refusé le passage : « on vous avait bien dit qu’il est dangereux de s’obstiner à vivre ici » !)
Du fait de ses atouts, la vallée du Jourdain, axe de communication et de commerce privilégié avec les pays voisins, étaient avant 1967 peuplée d’agriculteurs et d’éleveurs aisés, vivant dans des bourgades à l’habitat dispersé.
La première vague de colonisation date de 1968, dès la conquête de la Cisjordanie par Israël, sous la forme de trois colonies préfigurant la mainmise de l’occupant sur la totalité de la vallée (1 au nord près de la frontière libanaise, 1 au centre , et 1 au sud au bord de la Mer Morte, voir la carte). Elle a suivi immédiatement le plan Allon de 1967, destiné à prévenir le « danger démographique » par l’installation de colons juifs dans des régions à faible densité de population palestinienne. Elle s’est accélérée dans les années 1970 à 1980 et dramatiquement après la seconde Intifada en 2000, jusqu’à atteindre aujourd’hui le nombre de 36 colonies entourées d’immenses étendues de cultures. A ce jour, les Palestiniens ne disposent plus que de 5,62 % du territoire (135 km2) tandis que 94,37 % sont sous contrôle israélien (2265 km2), soit sous forme de colonies agricoles (palmiers-dattiers, bananiers, agrumes, oliviers, vignes, légumes, fleurs, petit élevage, destinées à l’exportation sous le label « origine Israël »), soit sous forme de « réserves naturelles » gelées, soit sous forme de terrains militaires.
Serres et vignobles abondamment irrigués dans les colonies de la vallée du Jourdain, au fond palmeraies et bananeraies.
Ces cultures sont irriguées grâce au captage de sources alimentées par les eaux de pluies stockées dans les collines. Sept captages existent, dont six sont réservés à l’usage des colons (au nombre d’environ 6500), le dernier alimentant chichement l’enclave de Jéricho ( 25 000 habitants). Nous avons pu voir les énormes citernes à mi-pente des collines, situées au-dessus de puits creusés jusqu’à 500 m de profondeur pour assécher toutes les autres sources et les puits des palestiniens. De toutes façons, non seulement il est interdit aux Palestiniens de creuser de nouveaux puits, mais pratiquement tous ceux qui existaient ont été asséchés, interdits ou bouchés par l’occupant. Il est même interdit aux habitants palestiniens de creuser des réservoirs pour recueillir l’eau de pluie.
Malgré les conditions climatiques et d’irrigation qui permettent des récoltes exceptionnelles (parfois 3 par an) et des avantages économiques démesurés pour les colons (chaque nouveau colon se voit offrir une maison, 7 ha de terrain, 75% de réduction sur l’eau potable, l’électricité, les télécommunications et les transports, la gratuité sur l’eau d’irrigation, l’éducation et la santé, et des subventions importantes), les autorités israéliennes peinent maintenant à trouver des volontaires pour s’installer dans la vallée du Jourdain. L’évacuation des colons de Gaza en 2005 a été une aubaine qui a permis de relancer un peu une dynamique qui stagnait. Actuellement de nouvelles expropriations sont en cours (Bardala, Al Farisya) pour étendre certaines colonies et réinstaller une deuxième vague d’anciens colons de Gaza, et les Palestiniens sur place pensent que l’objectif des Israéliens est de prendre, petit à petit et sans que la communauté internationale ne s’en rende compte, le contrôle total de la Vallée du Jourdain.
En parallèle, les Palestiniens de la Vallée sont encouragés à quitter ce qui leur reste de leur terre par des mesures de restriction qui les ramènent à l’âge de pierre (moins la liberté de circulation). Ils sont privés de leurs terres qui leur sont confisquées les unes après les autres, privés de leurs maisons dont une grande partie est démolie ou sous le coup d’ordres de démolition, privés du droit d’entrenir leurs maisons qui tombent en ruine, privés d’électricité, privés d’eau qu’ils sont obligés d’acheter à prix d’or à la compagnis israélienne Mekorot, laquelle les extrait de leur propre sous-sol, en bouteilles ou en citernes tirées par des tracteurs (l’an dernier, l’armée a même eu le cynisme de confisquer l’un de ces tracteurs empêchant tout ravitaillement en eau d’un village), empêchés de constuire même des écoles et des centres de santé, ceux existants ayant été détruits.
Deux des trois citernes construites en 2007 grâce à un financement du Fond de Coopération espagnol à travers l’ACPP et le PHG, comme l’indique le panneau accroché à l’une d’elles. L’une vient d’être démolie par l’armée israélienne, les deux autres sont sous le coup d’un ordre de démolition. Derrière les citernes, les cultures qui survivent tant bien que mal. Quel contraste avec les images précédentes !
C’est ainsi que nous avons rencontré un agriculteur qui possède encore des vergers et quelques cultures sous serres. Il a fait construire trois citernes pour recuillir l’eau de pluie dans le cadre d’un projet international d’aide au développement (rien de clandestin, donc). Il a déjà reçu les ordres de démolition, et la destruction a commencé. Le message, assez cynique, semble être que si les Palestiniens ne partent pas, on les fera mourir de soif, puisque même l’eau de pluie ne leur est pas autorisée. Bien entendu, dans ces conditions, les cultures palestiniennes encore existantes sont rachitiques et desséchées.
Quand bien même les Palestiniens arrivent-ils à une production agricole, ils n’ont le droit de l’écouler qu’en passant par un intermédiaire israélien. Pour leurs débouchés traditionnels vers les grandes villes de Cisjordanie (Naplouse, Jénine, Toubas, ..), leurs produits sont bloqués aux check-points de la « frontière » ouest. Quant aux marchés locaux, ils ont tous ont été détruits. Leur seule ressource, bien aléatoire, reste la vente sur le bord des routes aux Israéliens de passage, que l’armée tolère parfois … sauf lorsqu’elle décide de l’interdire (au mois d’août dernier, 25 échoppes de bord de route ont ainsi été détruites en même temps au bulldozer, sans que les paysans aient été autorisés à remballer leur marchandise auparavant). Ainsi, privés de terres, de l’eau indispensable à l’irrigation, et de tout débouché, ils sont contraints pour survivre d’essayer de se faire embaucher dans les colonies israéliennes, où les conditions de travail sont inacceptables (http://www.france-palestine.org/article6177.html). Il convient de relever encore que les produits des colonies israéliennes sont exportés, en particulier dans l’Union Européenne, comme « produits israéliens ».
Par l’ensemble des ces mesures, les Israéliens espèrent obtenir le départ des Palestiniens et isoler ceux qui résistent. Selon les paroles des Palestiniens que nous avons rencontrés, ces mesures sont tellement dures qu’elles sont relativement efficaces. De fait, la population palestinenne est passée de 250 000 à 50 000 depuis 1967, la majorité de ceux qui sont partis s’étant exilés en Jordanie. Seuls restent sur place ceux qui n’ont même pas les moyens de partir, et ceux qui en font un acte de résistance à l’occupation. Pour eux, « Exister c’est Résister ».