Maurice Pagat
Animateur du journal Témoignages et Documents 1957 – 1962 et de La Maison de la Paix à Saint-Véran
Maurice Pagat est né le 2 septembre 1928 à Saint-Etienne.
Il a travaillé à EDF mais assez vite le combat contre la torture en Algérie et pour son indépendance l’a mobilisé totalement et a provoqué sa révocation.
En 1957, Maurice Pagat, Robert Barrat (journaliste qui avait participé en novembre 1955 à la fondation du Comité d’action des intellectuels contre la guerre d’Algérie) et Roland Marin (compagnon de l’Arche) ont créé un Centre d’information et de coordination pour la défense des libertés et de la paix, (rue du Landy – 92110 - Clichy). Son Comité de Patronage était constitué de personnalités éminentes, dont beaucoup d’anciens résistants (voir sa composition en note *)
C’est alors que commençaient à sortir des témoignages de jeunes appelés ou rappelés à « pacifier l’Algérie », découvrant et révélant les horreurs de cette « pacification », témoignages saisis dès leur publication dans Esprit, Les Temps Modernes et les Cahiers de Témoignage chrétien.
Défiant la censure, Robert Barrat et Maurice Pagat ont créé, en 1957, un journal clandestin, Témoignages et documents sur la guerre en Algérie, afin de publier les textes interdits ou saisis dans la grande presse : le premier numéro (janvier 1958) a publié en première page le témoignage d’un rappelé, G.M. Mattéi (sur la torture) extrait des Temps Modernes.
Car il faut rappeler ce qu’était l’information à cette époque : une loi du 3 avril 1955 instituant l’état d’urgence et un décret du 17 mars 1956 permettaient aux autorités administratives et au ministre de l’Intérieur de contrôler la presse et les publications de toute nature, les émissions radiophoniques et les télécommunications, les projections cinématographiques et les représentations théâtrales. Dès lors, toute information considérée comme présentant une « atteinte à la sûreté de l’Etat » était censurée. Pour la presse, plus précisément, il existait une commission de censure qui décidait des saisies en grand nombre. La télévision ne comportait qu’une seule chaîne dont les journaux d’information étaient soumis au contrôle préalable du ministre de l’Intérieur…Ce qui a amené le pire, l’autocensure sur tout sujet sensible ! Inutile de rappeler qu’il n’existait pas alors Internet et ses réseaux sociaux…
La véritable information ne pouvait donc qu’être clandestine et c’est le choix qui a été fait : plus tard, un encadré figurant en première page présentait Témoignages et Documents comme « le journal qui publie les textes saisis et interdits »
Le premier grand texte publié est La Question d’Henri Alleg, sorti en mars 1958 aux Editions de Minuit et saisi, où l’auteur dénonce les tortures qu’il a subies pendant le temps de sa détention, témoignage suivi par un article de Jean-Paul Sartre.
Ce ne sera certes pas le seul texte sur la torture. Citons seulement, pour mémoire, « la Gangrène », plaintes et déclarations d’étudiants algériens torturés dans les locaux de la DST à Paris (juillet 1959) et le mémorandum envoyé à Monsieur René Coty, Président de la République et au Général de Gaulle, Président du Conseil, « Nous accusons » (octobre 1958 - par Ligue des droits de l’homme, Comité Maurice Audin, Comité de Résistance Spirituelle, Comité de vigilance universitaire, Comité d’information et de coordination pour la défense des libertés et de la paix).
Ce mémorandum aux autorités de ce pays concluait ainsi : « Devons-nous voir notre pays accusé du crime de génocide ? Devons-nous voir notre pays mis en jugement par les juridictions internationales ? Devons-nous voir notre pays lié à la réprobation universelle ? C’est au gouvernement français, c’est à l’opinion française de répondre. Les organisations soussignées ont conscience d’avoir fait tout leur devoir et défendu, quoi qu’il arrive, l’honneur de ce pays en rédigeant le présent document. Celui-ci constitue un acte d’accusation contre des hommes indignes, contre un système barbare. Ceux-là seuls qui persisteraient à n’en tenir aucun compte porteraient la responsabilité d’en faire un acte d’accusation contre la France ».
Ont été publiés dans Témoignages et Documents les conclusions du livre « le Refus » de Maurice Maschino (livre saisi) exprimant les raisons de son refus de répondre à l’ordre d’appel qu’il avait reçu « pour démystifier l’opinion française et témoigner devant l’opinion maghrébine » (mai 1960), la dénonciation régulière de la disparition de Maurice Audin ainsi que des listes de disparus algériens, les « ratonnades à Paris » du 17 octobre 1961 mais aussi antérieures à cette date, sur les nouveaux pouvoirs de la justice militaire et de la police (n° 20), « les nouveaux hors-la-loi » (textes censurés parce qu’ils constituaient des « invitations à la désertion » - n°22), des textes d’origine algérienne, maints témoignages , des analyses impubliables et des documents introuvables ailleurs, la relation des manifestations de protestation et leur répression et même des documents officiels comme la lettre de démission de Paul Teitgen, secrétaire général de la police d’Alger, qui dénonçait des exécutions sommaires ou un rapport secret de la DST.
Plusieurs articles ont été consacrés aux camps de regroupement en Algérie (regroupements formés par décision militaire impliquant des déplacements massifs de populations, populations privées de leurs moyens de subsistance et vivant dans des conditions extrêmes de misère et d’insalubrité – on estime à environ 2000 le nombre de ces camps et de 1 600 000 à 2 500 000 les personnes concernées, soit 15 à 25% de la population), et aux camps d’internement administratif en France (dits « camps d’assignation sous résidence surveillée » – il y en avait 4 en 1959 : Vadenay dans la Marne – Saint-Maurice-de- l’Ardoise dans le Gard – Neuville-sur-Ain dans l’Ain et le Larzac dans l’Aveyron) permettant des internements arbitraires, sans jugement, sans motif donné, juste au faciès .
De grands noms apparaissaient régulièrement dans ses colonnes, Jean Daniel, Gisèle Halimi, Raymond Aron, Laurent Schwartz, Marcel Paul, Daniel Mayer, Jean-Paul Sartre, Pierre Vidal-Naquet, Claude Bourdet, Monseigneur Rodhain, pour ne citer que ceux-là….
Maurice Pagat ayant eu l’audace de demander l’inscription de Témoignage et Documents à la Commission paritaire des papiers de presse afin d’obtenir les avantages consentis pour l’acheminement postal d’une revue, l’a obtenue (!) le 18 septembre 1958 ce qui a facilité l’expédition aux abonnés de plus en plus nombreux puisque le tirage atteignait déjà 20 000 exemplaires. Beaucoup se communiquaient, comme l’on disait à l’époque, « sous le manteau ». On peut estimer finalement le tirage moyen des numéros à 50 000 exemplaires (mais est allé jusqu’à 90 000). Outre la vingtaine de saisies pratiquées sur Témoignages et Documents, outre une trentaine de perquisitions des locaux, une douzaine d’inculpations accompagnées de gardes à vue ont visé Maurice Pagat sous des motifs divers, atteinte à la sécurité extérieure et intérieure de l’Etat, démoralisation de l’armée et de la nation, apologie de rébellion, injure et diffamation publique envers la DST, publication du texte de plaintes déposées, etc…mais une seule condamnation (de 1000F – en 1961 - pour publication d’un acte de procédure correctionnelle avant qu’il ait été lu en audience publique).
Concomitamment, Maurice Pagat qui informait déjà dans les colonnes du journal du scandale constitué par les camps d’internement administratif (comptant environ 5000 Algériens détenus arbitrairement), a participé à des manifestations devant celui du Larzac, suivies au mois de juillet 1959 par une « lettre ouverte » au ministre de l’Intérieur pour réclamer la suppression de ces camps. Parmi les protestations figurait « un manifeste signé d’écrivains, d’hommes célèbres et de croyants de toutes philosophies ou religions lancé pour recueillir des fonds destinés à la construction d’une Maison de l’amitié franco-algérienne ».
C’est ainsi qu’au mois de février 1960, Maurice Pagat pouvait annoncer dans le n° 21 du journal la création de la Maison de la paix – Dar el Salam – au service de l’amitié franco-maghrébine, en ces termes :
« Près du camp d’assignation à résidence surveillée du Larzac où sont détenus 3000 Algériens, nous venons de faire l’acquisition au village abandonné de Saint-Véran de plusieurs bâtiments qui sont destinés à l’organisation d’un centre de séjours et de rencontres au service de l’amitié franco-maghrébine. En installant cette maison en face du camp du Larzac, dans les gorges de la Dourbie, nous avons voulu protester contre l’existence des centres d’assignation à résidence surveillée et susciter une campagne en faveur de leur suppression. Nous avons voulu aussi témoigner notre solidarité envers les Algériens arbitrairement détenus et contribuer à réparer le tort causé à l’amitié franco-algérienne, par la création de ces camps, en opposant à ceux-ci, dès maintenant, une réalisation dont la mission permanente sera de développer les relations d’amitié, les échanges et les confrontations entre Algériens, Tunisiens, Marocains et Français. » Outre le symbole fort de protestation au camp d’internement administratif, faisant de la Maison de la Paix de Saint-Véran « l’anti-Larzac », ce chantier international auquel ont participé plusieurs centaines de personnes a été un lieu de débats politiques et de fraternité. Voir aussi
Le développement du journal et celui de la Maison de la Paix n’auraient pu avoir cette ampleur sans le soutien militant et financier de tous les amis associés à ces combats. En premier lieu, citons Mariel Jean-Brunhes Delamarre – en étroite association avec Maurice Pagat - et son époux, Raymond Delamarre, dont les ateliers de sculpteur étaient envahis la nuit par les journaux, lors des diffusions ! Les Rouzet et tant d’autres, parcourant la France pour les impressions clandestines ! Tout autant que les grandes plumes ou les participants au chantier de la Maison de la Paix (une pensée pour André Schmit…).
La parution du journal – et le chantier de la Maison de la Paix – ont pris fin, presque naturellement peu après la fin de la guerre d’Algérie, avec le bilan de 89 mois de terribles combats, l’analyse des accords franco-algériens (une étude d’El Moudjahid), le salut à la victoire du peuple algérien. La dernière page du numéro 37 (octobre 1962) était consacrée encore à une saisie, celle d’un film, Octobre à Paris, le massacre du 17 octobre devant demeurer sous une chape de silence.
Maurice Pagat a difficilement repris pied dans la réalité d’une vie vidée d’un combat intense mais est réapparu publiquement en 1983 où, profitant de la Tribune que lui offrait l’émission « Droit de Réponse » de Michel Polac, il a appelé les chômeurs à s’organiser collectivement. Le succès de son appel lui a permis de créer le premier « Syndicat des chômeurs » puis, des « maisons des chômeurs », des marches de chômeurs, des initiatives d’économie solidaire, des Universités d’été, des Etats Généraux du Chômage et de l’emploi et la parution d’une revue consacrée au travail et au chômage Partage. Ce qui est une autre histoire (voir par exemple https://www.memoirepartage.fr) - à publier dans le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français ?).
Cet homme d’exception qui a porté courageusement la vérité sur la « guerre d’Algérie » et éclairé des dizaines de milliers de personnes, est mort le 2 mars 2009 au Centre Partage de Thiviers qu’il continuait d’animer.
Geneviève Coudrais
• Membres du Comité de Patronage, par ordre alphabétique :
Robert Barrat (journaliste) - Claude Bourdet (journaliste et écrivain) - Jean Czarnecki (professeur) – Jean-Marie Domenach (Directeur de la revue Esprit) - René Dumont (agronome), Mariel Jean-Brunhes Delamarre (géographe et ethnologue), Lanza del Vasto (philosophe et fondateur de la Communauté de l’Arche), Roland Marin (compagnon de l’Arche), Henri-Irénée Marrou (universitaire et historien), Jean-Jacques Mayoux (critique littéraire et professeur de littérature - André Philip (professeur de droit) - Jean Pouillon (ethnologue) - Claude Roy (journaliste et écrivain) - Jean-Paul Sartre (philosophe) - Laurent Schwartz (mathématicien) - Pierre Stibbe (avocat) - Edith Thomas (journaliste et écrivaine) - Vercors (écrivain) - Andrée-Pierre Vienot (femme politique et membre du Comité Central de la LDH) - Maurice Voge (pasteur) -