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3 novembre 1961
Trois nouveaux réfractaires renvoient leur feuille de route : Didier Poiraud, étudiant aux Beaux-Arts à Angers ; Alain Larchier, de Lyon, étudiant en électronique à Grenoble ; Marcel Hladik, 25 ans, étudiant en biologie à la faculté de Paris.
8 novembre 1961
Georges Humbert est jugé au tribunal de Corbeil. Voir extrait du journal de l’ACNV, n° 12, plus bas dans cette page (« Livrets militaires »)
Jean-Pierre Hémon est réformé à Bordeaux, pour soi-disant « déséquilibre psychique ». Il est libéré le 11, après avoir fait au total un mois de cellule et deux d’hôpital. Il rejoint le chantier nouveau qui s’ouvre à Carry-le-Rouet, près de Marseille.
13 novembre 1961
Nous apprenons que Gilbert Schmitz est enfin transféré à la prison militaire de Landau. Le groupe de Mulhouse avait entrepris une série de démarches auprès du sous-préfet, députés, ministre des Forces armées, pour obtenir son inculpation régulière.
17 novembre 1961
Manifestation à Lyon, pour appuyer la demande des détenus algériens qui font la grève de la faim depuis quinze jours (voir coupure de presse ci-contre).
22 novembre 1961
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Le procès a lieu devant un tribunal présidé par M. Roger Blum et une assistance d’environ deux cents personnes venues de toute la France.
À l’ouverture de l’audience, le président prie les témoins de s’en tenir aux faits et aux témoignages de moralité afin d’éviter de prolonger inutilement les débats. En fait, il ne veut surtout pas de considérations politiques, qu’il interrompt dès que les témoins s’y aventurent.
Il procède rapidement à l’interrogatoire des inculpés dès lors qu’il sont « des non-violents, donc des hommes véridiques et courageux », qu’ils reconnaissent la matérialité des faits qui leur sont reprochés, ce qui lui simplifie la tâche.
Déconvenue : les inculpés protestent, ils sont « responsables mais non coupables » dès lors, explique Jo, que le mot « incitation » suppose une violence, une contrainte physique ou morale tout à fait contraire à leurs principes. Leur action est un appel à la conscience et une participation à la désobéissance des jeunes, non une incitation. Jacques Tinel précise, pour sa part, que le rôle du professeur qu’il est consiste parfois à apprendre à ses élèves à « désobéir de façon intelligente », ce qui est fort mal reçu.
Le défilé des témoins montre comment l’action a mis en valeur l’aspect positif et constructif de la désobéissance des jeunes en réalisant avec eux le service civil.
Le tribunal entend successivement Jean Lagrave, détenu à Toulouse, René Nazon, détenu à Marseille, André Bernard, détenu à Bordeaux, Bernard Roulet, professeur, Jean-Marie Domenach, directeur de la revue « Esprit », Hamdani Lakehal-Ayat, Algérien, Claude Voron, Didier Poiraud et Robert Siméon, réfractaires encore en liberté, le pasteur Trocmé, Jacques Audic, lieutenant de vaisseau, le Père Cortade, René Heurtier, médecin aspirant, René Figuières, infirmier parachutiste, Mme Hovelaque, Jean-Pierre Hémon, Jack Muir et Pierre Boisgontier, réfractaires réformés, Bernard de Cazenove, représentant les signataires de l’Appel, ayant reçu un volumineux courrier de témoignages, et Elie Bosc, menuisier à Marseille.
Les trois premiers à témoigner ont été extraits de leur prison :
– Jean Lagrave a été soldat pendant onze mois et n’a pas rejoint la caserne lorsqu’il a reçu l’ordre de partir en Algérie, ne voulant pas participer à cette guerre et à ses horreurs. Il s’est mis en relation avec l’ACNV après avoir considéré que l’exil qu’il avait envisagé n’était pas une solution.
– René Nazon avait déjà refusé l’uniforme. Ayant purgé une première peine de deux ans, c’est peu avant sa première sortie de prison qu’il fait réellement connaissance avec l’ACNV.
– André Bernard, insoumis, se trouvait à l’étranger depuis environ quatre années lorsqu’il entend parler de l’ACNV. Il rentre alors en France pour se joindre à son action.
Plusieurs réfractaires se rencontrent pour la première fois. Ainsi, Jean Lagrave et André Bernard font connaissance, une nuit, dans une cellule de condamné à mort : une cellule « désaffectée », ouverte sur des barreaux de chaque côté, sur deux autres cellules où pouvaient se tenir des gardiens.
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Quelques citations des témoins :
Jean-Marie Domenach : « Bernanos dit que ce qui sauve une nation de la honte des tyrannies, c’est une certaine proportion d’hommes libres. Je regarde les accusés comme des hommes libres. »
Hamdani Lakehal-Ayat : « La présente action en faveur des objecteurs de conscience me regardant moins directement [que l’action contre les camps d’internement administratif], j’ai demandé à me retirer pour réfléchir, aussi pour me rapprocher de mes anciens amis et prêcher parmi eux la non-violence dont je sais qu’elle pourrait délivrer mon malheureux pays comme elle a délivré les Indes sous la conduite de Gandhi. »
Claude Voron : « Chacun se défile comme il peut devant la loi. Les non-violents seuls m’ont dit : Prends la responsabilité de ton acte : va aux gendarmes, nous t’accompagnerons. »
Le pasteur Trocmé se réclame des pasteurs Vernier et Lerch qui approuvent les inculpés et des pasteurs Lasserre et Blanchet, comme lui signataires de l’Appel : « Je crois que nous pouvons considérer les inculpés comme des prophètes d’un avenir tout proche qui va nous tomber dessus et voilà pourquoi nous sommes là, associés avec les inculpés, pour demander que justice soit faite au sens le plus élevé de ce terme. »
Le Père Cortade : « J’ai connu les prévenus en septembre 1960. Nous, prêtres, rencontrions de nombreux jeunes gens qui revenaient d’Algérie, démolis. Au cours d’une réunion à laquelle j’ai participé avec les accusés, j’ai rencontré des jeunes gens qui, appelés au service militaire, cherchaient une solution au niveau de leur conscience. Ils se demandaient s’il n’existait pas la possibilité d’une troisième voie entre les deux qui s’offraient à eux : le départ pour l’étranger et l’entrée dans un réseau d’aide au FLN. Les responsables de l’Action civique non violente étaient hostiles à ces deux voies mais étaient prêts à leur offrir la troisième qu’ils cherchaient. Elle consistait à proposer au gouvernement l’institution d’un service civil. Cet appel n’a pas reçu d’écho auprès des autorités. »
Jack Muir : « Je ne voulais pas combattre des gens dont la cause me paraissait plus juste que la nôtre... »
Ce qui provoque la vive réaction du président du tribunal qui rétorque que cette attitude serait de la trahison.
Pierre Boisgontier : « Vous voulez peut-être me faire dire que j’ai subi incitation ou pression de la part des inculpés, eh bien moi je vous dis : l’incitation, c’est moi qui l’ai faite ! et la pression aussi sur Jo, dès que j’ai pu mettre la main sur lui, et avec quelle insistance, quel acharnement ! car il n’était pas facile le gars ! il n’était pas pressé ! il avait autre chose à faire, il avait déjà sur les bras l’affaire des camps d’assignation ! et moi : Alors, vous n’allez rien faire pour nous ? Vous allez faire comme les autres qui veulent la paix en Algérie, disent-ils, et qui ne font rien ! et nous laissent partir, nous les jeunes, pour l’Afrique où ils ne vont pas ! »
Quand la parole est donnée aux inculpés, Joseph Pyronnet dégage les points essentiels du sujet avec force et relève, notamment :
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« Je pense avoir suffisamment démontré par cette longue suite de témoignages divers que nous n’avons incité ni provoqué personne, exercé sur personne pression et moins encore contrainte. Mais ce n’est pas assez : il faut ajouter que j’ai été moi-même contraint à m’occuper du désarroi de la jeunesse française pendant la guerre d’Algérie, contraint non pas tant par l’insistance de tel ou tel de ces garçons et de leur anxieuse attente que par la logique née de la non-violence [...].
[Nous refusions] de ne rien faire, de manquer à notre vocation de non-violents connus pour parler et agir au nom de la conscience, d’avoir à la fin des comptes à rendre à ces jeunes gens soumis à toutes sortes de pressions et d’incitations, à toutes sortes de menaces et de contraintes, qui posent à leurs aînés une question urgente et vitale, d’avoir à leur rendre compte parce que tenant la réponse nous aurions refusé de la leur donner, et cette réponse c’est : « Suivez votre conscience », et c’est de leur fournir les moyens de le faire et c’est encore de nous compromettre avec eux.« »
Le procureur de la République, tout en rappelant les termes de la loi, souligne la respectabilité et la loyauté des prévenus. Laissant le tribunal à son cas de conscience, il termine en souhaitant « qu’un jour prochain, l’humanité prenne conscience de sa vocation et dépasse le problème qui nous a retenus aujourd’hui ».
C’est enfin le tour des avocats. Maître Gasparri souligne l’existence dans d’autres pays de diverses formes de service civil. Il pense qu’en de tels procès où les accusés et les témoins ne cachent rien, ne craignent rien, l’avocat n’a pas de place sinon comme un témoin de plus.
Maître Bouchet, après quatre heures d’audience, force encore l’attention et conclut en ces termes :
« La violence sera-t-elle toujours la grande accoucheuse de l’Histoire ? Même de grands capitaines, même de grands politiques, à la conclusion de leur carrière, en sont venus à reconnaître l’échec de leurs méthodes : Il y a deux forces dans le monde, dit Napoléon, celle de l’épée et celle de l’esprit. La force de l’esprit finira toujours par vaincre la force de l’épée ; et Lyautey : Rien de véritable ne se fonde sur la force ; et Clemenceau (qui n’était pas un agneau bêlant et n’avait pas de faible pour le froc) : Si les chrétiens avaient une goutte de sang de saint François, le monde serait changé. »
Par jugement du 13 décembre 1961, le tribunal a condamné Joseph Pyronnet à dix mois d’emprisonnement avec sursis, Jacques Tinel à huit mois avec sursis, Simone Pacot et Marie Faugeron à six mois chacune avec sursis, Jo écopant en outre, pour le renvoi de son livret militaire, d’une peine de huit mois d’emprisonnement avec sursis, se confondant avec la première.
À cette fin, après avoir relevé que « l’apologie d’actes d’insoumission et le soutien apporté à leurs auteurs peuvent à eux seuls présenter le caractère de provocation à commettre des actes semblables, »
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le tribunal a constaté
« que les écrits dont il s’agit, imprimés en grand nombre au cours des mois de septembre, octobre et novembre 1960, et largement diffusés à la même époque, loin d’exprimer de simples opinions sur la nature des combats qui se déroulent en Algérie et sur les problèmes de conscience qu’ils sont susceptibles de poser, procèdent tous de la volonté [...] de préconiser, d’organiser et de favoriser la résistance aux obligations qu’imposent les lois sur le service militaire ; que cela est si vrai que les effets de la campagne de tracts ne se sont pas fait attendre, que dans les jours et les semaines qui ont suivi son ouverture, de nombreux jeunes gens ont été condamnés pour insoumission à des peines élevées d’emprisonnement, »
reconnaissant toutefois aux intéressés de larges circonstances atténuantes.
Le procureur de la République et le tribunal avaient ainsi déjoué les prévisions de Robert Tréno qui, dans « le Canard enchaîné » (« Quatre criminels »), avait imaginé le réquisitoire du ministère public, lequel appelait les juges à infliger « à ces tristes sires le maximum de la peine », en suite de quoi « à écrire au garde des Sceaux pour demander qu’on leur refuse dans leur prison le bénéfice du régime politique. Ils risqueraient, en effet, d’y contaminer les héros de l’un ou l’autre bord. Les retombées de la non-violence étant plus dangereuses encore que celles de la bombe atomique », afin que grâce à un jugement historique la non-violence ne passe pas...
L’ACNV, pour sa part, a interprété le jugement comme « une incitation à persévérer ». Ce qu’ils ont tous fait.
(Extrait de notre livre : Réfractaires à la guerre d’Algérie, etc.)
Suite à ce procès, Jacques Tinel fut radié des listes électorales le 12 mars 1962, voir ci-contre.
Le 13 décembre 1961, le tribunal de Carpentras condamne Joseph Pyronnet, Jacques Tinel, Marie Faugeron et Simone Pacot à des peines de prison avec sursis. Ils sont donc tous en liberté.
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25 novembre 1961
Le chantier se déplace ; il se tient désormais aux environs de Marseille. Il groupe une quinzaine de garçons, dont une bonne part de réfractaires ou de futurs réfractaires qui travaillent à bâtir des maisons familiales de vacances. Voici leur adresse : Les Cigales, Calanque des Eaux-Salées, Carry-le-Rouet (Bouches-du-Rhône).
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De chantier en tribunal
6 décembre 1961
Claude Michel, le responsable de l’équipe du chantier, est jugé à Carpentras pour avoir renvoyé son fascicule de mobilisation. Le juge, qui est le même qu’au procès du 22, est peu disposé à réentendre les thèmes de l’action, et il faut à Claude beaucoup de calme et de fermeté pour exposer les motifs de son acte. Les témoins présents, n’ayant pas été cités légalement, se voient refuser la parole.
Le 13 décembre 1961, le tribunal condamne Claude Michel à six mois avec sursis.
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8 décembre 1961
Arrestation sur le chantier
Les gendarmes de Carry-le-Rouet viennent arrêter Claude Voron qui, depuis le 28 octobre, jour de son témoignage public à Marseille, attendait son arrestation sur le chantier. Claude est mis en cellule d’isolement à la caserne d’Aurelle, à Marseille, avant d’aller à Bourges pour l’examen psychiatrique. Il travaillait sur les chantiers de l’Action depuis plusieurs mois. Auparavant stagiaire de recherche en astronomie, licencié ès sciences, Claude avait résilié son sursis le 8 août et renvoyé sa feuille de route le 30. Il avait participé à de nombreuses manifestations dont plusieurs lui valurent la prison.
29 décembre 1961
Les Robert Siméon recommencent
Arrestation à Bollène de Robert Siméon. Depuis le 6 juillet, qu’il devait être à la caserne, Robert a vu partir successivement Gilbert Schmitz, J.-P. Hémon, Michel Hanniet, Michel Bourgeois, Claude Voron. Passant les fêtes à Bollène, il apprend par hasard qu’un avis de recherche existe à son encontre.
Devançant l’arrestation, enchaîné à quatre autres personnes qui désirent partager son sort, il se présente publiquement devant l’hôtel de ville de Bollène tandis qu’un défilé d’une soixantaine d’amis portant banderoles vient stationner un quart d’heure en silence. Les « cinq » qui sont sans papiers d’identité entrent à la gendarmerie ; deux sont relâchés le soir même (Jo et Marie). Les autres conduits à Orange pour interrogatoire. Après vingt-quatre heures, Robert Siméon est identifié et transféré à la prison d’Avignon [puis aux Baumettes]. Les autres sont relâchés sans avoir été identifiés.
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