Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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P. Louis Retif
Article mis en ligne le 5 septembre 2006
dernière modification le 21 décembre 2009

par PS

C’ETAIT le 28 Mai 1960. Pour protester contre les camps d’internement et hâter la paix en Algérie, plus d’un millier de manifestants s’étaient rassemblés en silence aux Champs Elysées, malgré l’interdiction gouvernementale. D’importantes forces de police avaient été mobilisées pour empêcher la manifestation. Dès les premières tentatives de dispersion, les manifestants s’assoient par terre et toujours en silence déploient banderoles et placards. Refusant le heurt avec la police, mais aussi la fuite, ils ont choisi une troisième voie : poser et imposer, par une présence obstinée et sans défense, le problème méconnu qui leur lient à cour. Traînés ou portés l’un après l’autre par les policiers, ils sont jetés dans les cars. Conduits à l’ancien hôpital Beaujon, ils y seront entassés, les uns par groupes de quarante dans des boxes, quelques centaines d’autres dans la cour, et, après une nuit enrichie de multiples échanges et dialogues fructueux, seront libérés au petit matin en divers points de la banlieue parisienne.

Parmi les manifestants, Jean Cassou, ancien commissaire de la République, Louis Massignon du Collège de France, des professeurs d’Université comme Paul Ricœur, des dirigeants syndicalistes, des journalistes, des prêtres, des étudiants, des ouvriers... Dans le box où je me trouvais, aux côtés de Louis Massignon, Maître Stibbe et Claude Bourdet, se tenaient huit professeurs, quatre instituteurs, deux prêtres, un ouvrier, un ingénieur, quinze étudiants, un correspondant d’un journal suédois. La plupart de ces manifestants n’étaient pas non-violents, mais tous convenaient, celte nuit-là, que cette forme d’action directe correspondait à la situation présente comme l’une des seules possibles. Louis Massignon, le plus écouté, tout en évoquant cinquante années de rencontres, de discussions, de jeûnes au service de la paix, à travers tous les pays d’Afrique et d’Asie, ne cachait pas sa joie de constater ce ralliement à une forme d’action qu’il avait prêchée toute sa vie.

C’était la deuxième grande manifestation, à Paris, sous le signe de la non-violence. Désormais, l’opinion française, était alertée sur une technique qu’avait mise au point en Inde, Gandhi et son mouvement de non-coopération, et qui avait assuré leur victoire sur les autorités impériales britanniques.

Plus récemment, utilisant la même technique, les 100.000 marcheurs anti-atomiques de la Grande-Bretagne, convergeant vers Trafalgar Square, sont parvenus à infléchir la politique du parti travailliste et ont souligné, au regard de l’opinion internationale, les menaces de la guerre thermo-nucléaire.

Mais quelques manifestations de non-violence en France ou en Angleterre, ou encore les démonstrations pacifiques contre la ségrégation en Amérique suffisent-elles, à travers l’image qu’en donnent l’écran, la presse, et la radio, à rendre compte d’un mouvement qui se veut avant tout une requête de l’esprit ?

Seuls les instigateurs de la non-violence peuvent témoigner de la non-violence. Qu’ils s’appellent Lanza del Vasto, Joseph Pyronnet, le pasteur Luther King, le professeur Russell ou Danilo Dolci, ces hommes d’action ne ressemblent pas au type de militant syndicaliste ou politique que nous rencontrons. Non que toute idée de pression sur les structures leur soit étrangère ; ils affirment mener une action politique. Mais s’ils témoignent, aujourd’hui, moins de ce qu’ils sont que de ce qu’ils font, c’est que leur personne importe moins que leur message. Ils plaident à la face du monde, pour des millions d’opprimés, sans autres armes que leur amour pour la justice et pour la paix. Ils professent tous un même respect de l’homme et ne seront jamais les accusateurs de personne, si ce n’est du mal qui est au coeur de chacun.

Une révolution au nom de la vérité et de la justice

ET cela malgré la violence qui s’étale démesurément et règle souvent les rapports sociaux d’homme à homme et de peuple à peuple. « Le monde, constate l’abbé Pierre, est véritablement dans la guerre, la guerre pour le pain, le toit, le travail, l’école et les soins »... Malgré l’épreuve de force qui oppose les deux blocs, sous le signe de la menace atomique, et malgré cette autre forme de violence qu’est L’injuste répartition des biens de consommation, violence plus sournoise que les autres, mais non moins scandaleuse, qui condamne à la sous-alimentation les 2/3 de l’humanité.

Comment resterions-nous indifférents devant la tentative de ces humbles, de ces doux, de promouvoir une révolution dont nous sommes loin encore de comprendre l’esprit et de mesurer la portée, mais dont nous avons bien conscience qu’elle se fait au nom de la vérité et de la justice et dans le respect de ces valeurs.

J’ai surtout connu Joseph Pyronnet en Juin 1960 lors de l’action directe qu’il a menée, avec une vingtaine de volontaires, dans te bidonville du Petit Nanterre. Ces hommes voulaient partager les vexations continuelles dont étaient victimes les Nord-Africains en ces temps troublés. Nous avons hébergé, durant un mois, ces vingt compagnons dans un local voisin du presbytère, puis, ils se sont ensuite fixés sous tente, parmi les Algériens. C’est là qu’ils ont observé un jeûne public de sept jours pour protester contre les attentats qui atteignaient alors et les policiers français et les travailleurs nord-africains.

Des hommes comme Joseph Pyronnet font honneur à un pays. Père de quatre enfants, ce professeur de philosophie au lycée de Montpellier, détaché en 1959 au Vigan ne s’est plus reconnu le droit d’enseigner, le jour où il a découvert ta honte nationale que constituait le camp d’internement du Larzac tout proche du Vigan. Après avoir sollicité un congé, il s’est mobilisé complètement au service de la paix avec te même courage qui le poussait, quand il avait 20 ans, à devenir parachutiste. Et l’on ne sait qui le plus admirer de cet enseignant lancé, au nom de sa conscience, dans une aventure qui le mènera souvent en prison, aux prises avec des tracasseries de toutes sortes, ou de sa femme qui consentait pleinement à ces séparations, à ces risques, comme à l’incertitude du lendemain, au nom d’une cause - hier inconnue épousée en commun pour la défense des opprimés [1].

Depuis cette époque, Joseph Pyronnet a mené campagnes et pétitions, démarches et action directe en faveur de la paix en Algérie. Il s’est rompu aux disciplines de la non-violence de Gandhi et familiarisé avec les initiatives de non-violence à travers le monde. C’est ce qui lui permet aujourd’hui de présenter au public français, en même temps que deux années d’action directe en France, des expériences d’une étonnante parenté, en particulier celles de Grande Bretagne et d’Amérique qui ont souvent occupé l’actualité durant ces dernières années.

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