Réfractaires non-violents à la guerre d’Algérie
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"LES LITS SONT MAL FAIT" Juillet 1965 -
Article mis en ligne le 28 avril 2013
dernière modification le 1er mai 2013

par PS

Oui, nous avons un peu honte de vous introduire à un aspect si regrettable et peu glorieux de notre vie privée ; mais cet aveu vous est dû : il arrive que nos lits soient mal faits, voire qu’ils demeurent certains jours en débâcle comme ceux des étudiants fatigués d’une longue veille et mal sortis du "pieu". Que voulez-vous, nous ne sommes pas à l’hôtel. Et à la relâche générale correspond souvent la relâche privée.

Ah ! Mais ! Je vous entends : ce ne sont pas là des excuses. Si nous étions à la hauteur, nous saurions faire fi des conditions adverses.

Aurions-nous conscience d’être rassemblés sans but, de donner à une administration peu douée d’imagination le difficile problème de nous occuper pendant 32 mois de notre jeunesse ? Qu’importe ce détail ? Si nous étions de "véritables objecteurs de conscience" fidèles au sens le plus profond de notre attitude, nous serions là tous les matins à 7 H pile au rassemblement, enthousiastes et prêts à assumer la grande tâche qui nous est léguée : prouver que nous ne sommes pas des "tire-au-flanc", mais des hommes capables de "faire quelque chose"…

Comment, nous di-on, le travail sur les chantiers manque de direction technique, vous y apprenez peu de choses ? Quoi ? Il arrive qu’on vous maintienne inoccupés avec vos jeeps, vos camions tous-terrains, vos équipes de permanence le jour où ça brûle à douze endroits différents dans la région tandis que des appels aux volontaires sont lancés et que… vous êtes là pour ça ? D’accord cette situation est regrettable… mais enfin quoi ? Objecteurs ou pas ? alors ne laissez pas votre ardeur souffrir de ces avatars. Marchez, creusez, en chantant si vous pouvez. C’est cela qui est important. Toujours prêts.

Hein ? Bien qu’affectés à une formation civile, vous vous retrouvez placés sous "statut de défense", intégrés dans les grandes préparations de la guerre totale qui ne doivent oublier aucun français ; par hasard vous voici soumis au règlement de discipline générale des armées, passibles des tribunaux militaires ; vous vous demandez si vous n’êtes pas en train de construire pour les futurs corps de défense de la P.O. qui doivent être implantés dans le secteur… Assez ! Ne vous occupez pas de tout cela. Ignorez ! Oui, revenez au véritable sens de l’objection de conscience.

Votre rôle à vous est de vous accréditer par votre soumission, votre bonne conduite et par là même d’accréditer la cause. Laissez les autres s’occuper du reste. Par vos réactions vous voulez brûler les étapes, vous n’arriverez à rien. Montrez que vous êtes capables de faire du travail, d’éviter les tensions. Alors vous aurez vraiment une influence valable, on dira : "vous voyez, ces jeunes, tout de même… ils sont sérieux, ils en mettent un coup, ce sont de chics gars".

Pardonne, mon frère, cette diatribe à l’arrière goût amer. Fais-moi la grâce, au moins, de ne pas t’en trouver blessé. Si je suivais mon sentiment, j’enverrais tout cela au panier, d’autant que depuis quelques jours, l’impression d’être utiles en intervenant au feu, l’unité et le dynamisme collectif qui se créent autour de cette activité où chacun met le meilleur de lui-même, donnent une allure de "vieille histoire" à ce qui n’est pas pour autant résolu. Si… Peut-être certains retrouveront-ils le goût à faire leur lit convenablement, mais le problème n’est pas là, et il faut en parler.

Ignorez ! Voilà une vieille rengaine qui n’est pas toujours formulée en des termes aussi francs, mais dont l’accent nous est bien connu. Elle nous invitait autrefois à partir pour l’armée, où, par notre bonne conduite nous pourrions faire tellement de bon travail… en laissant à d’autres plus anciens et mieux placés le soin de lutter contre la guerre et sa préparation. Nous aurions pu à la caserne, dans un bureau, à l’exercice, - sans jamais accepter de tâche qui soit directement en opposition avec nos principes, bien sûr !... – porter un témoignage incontestable de non-violence par notre manière d’être avec nos chefs, nos camarades, par notre promptitude à accomplir la tâche quotidienne, sans nous poser de problèmes.

Mais justement, nous avons choisi de ne pas ignorer. Alors c’est vrai nous voici toujours en porte-à-faux et sujet de tensions.

Tactiquement, il serait sans doute plus habile de jouer les enfants sages. Cela donnerait la cote aux objecteurs de conscience.

Mais l’on tient mal dans une fausse situation d’opportunisme, surtout peut-être quand on est objecteur.

Ne nous demandez pas le sourire publicitaire. Les hommes que nous rencontrons nous sauront gré d’adopter des attitudes franches.

Et qu’importe, finalement, si l’objecteur de conscience se "dévalue" aux yeux d’une certaine opinion qui voulait y contempler le "héros pur".

Qu’importe s’il redevient un homme ordinaire, s’il amène ainsi les regards à se détourner de son "cas" pour considérer le véritable problème, celui auquel lui-même réagit et qui concerne tous les hommes ordinaires : le problème de la guerre et de l’injustice dans l’humanité présente.

N’est-ce pas ainsi qu’il aura été fidèle au véritable sens de l’objection de conscience ?

B.G.