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LEGITIME DEFENSE ? Avril 1965
Article mis en ligne le 30 avril 2013
dernière modification le 1er mai 2013

par PS

Editorial

Un ministre, celui des Anciens combattants, je crois, vient de déclarer qu’actuellement aucun jeune français ne faisait la guerre. C’est assez réconfortant. Nous serions presque tentés de nous considérer en paix. Nous allons pouvoir jouir enfin tranquillement de notre expansion économique, en pensant à ces malheureux Américains.

Monsieur Johnson a fort à faire. Il ne sait plus où donner de ses " marines ". " Ce sont eux ou nous", proclame-t-on au Vietnam, explique-t-on à Saint Domingue. "Ce sont eux ou nous", crient les petits blancs en Alabama. Légitime défense, quoi ! Dans ce cas… Quand la violence est légitime n’est-ce pas… Le principal est d’avoir bonne conscience, après tout.

Seulement, il est si facile d’avoir bonne conscience. Il suffit de fermer les yeux au moment opportun, de se boucher les oreilles quand il faut et de prendre les choses par leur bon côté. D’ailleurs n’ayez crainte, on nous y aide bien. Seul, on pourrait avoir des doutes.

Heureusement, la télé, les beaux discours, ce si tentant confort dont on nous décrit chaque détail, les vacances enfin sont là pour nous montrer le chemin. Le tout est de suivre le guide. Lui seul connaît les éléments du paysage dignes d’être contemplés. Suivons donc, l’esprit à l’aise. Le voyage est bien organisé. On se charge de tout, même des pourboires. Et si quelqu’incident vient perturber la partie de plaisir, nous aurons à peine le temps de nous rendre compte de ce qui se passe, que l’on nous soufflera : légitime défense. Ah ! bon. Puisqu’on nous le dit. Et puis ce ne sont pas mes affaires.

D’où sort-il celui-là maintenant ? Mon Dieu, qu’il est laid ! A moitié nu ! Et qu’est-ce qu’il raconte ? Il a faim, il veut sa liberté ? Qu’y puis-je, moi ? Mais voilà qu’il me menace ! Hé, là ! Doucement. Je ne suis pas un violent, mais il y a des limites. D’ailleurs – c’est lui qui a commencé. Sans doute, n’a-t-on pas l’occasion de se demander de quelle loi cette défense-là tire sa légitimité. Pas plus que de s’interroger sur la nature de l’illégitime défense. C’est dommage. Y.M.

SUPPLEMENT AU N° 2

IL Y A DEFENSE ET DEFENSE

"L’organisation générale de la nation pour le temps de guerre conçue en fonction de la guerre totale, exige la mise à disposition du pays de toutes les ressources en personnel et en biens. Cette organisation suppose une préparation minutieuse, dès le temps de paix…" (1) Tels sont les propos écrits le 23 novembre 1938 par le président du conseil E.Daladier au président Lebrun. L’expérience de la deuxième guerre mondiale et la poursuite de la guerre froide ont confirmé cette vision. La défense prend une place de plus en plus dévorante dans l’activité des nations. Et les gouvernements ont sans cesse perfectionné leurs méthodes et développé leurs moyens. Si bien qu’à la vieille notion de "garde des frontières" s’est substituée la notion de défense totale, du tout au rien.

En 1938 (loi du 17 juillet) les vieilles idées survivent encore, ainsi la défense est définie comme devant parer au cas d’agression manifeste, de tensions extérieures. Le temps de paix et le temps de guerre sont alors deux périodes nettement distinctes. Si le gouvernement est responsable de la défense nationale qu’il prépare dès le temps de paix, la fonction est assumée par un ministre spécialement chargé de cette mission. Le parlement a un certain droit de regard et de contrôle. La Société des Nations est saisie en cas de litige.

De nos jours l’ordonnance du 7 janvier 1959 (3) apporte un profond bouleversement dans les conceptions et dans l’organisation de la défense. Il s’agit de principes nouveaux. Ainsi " la défense (Art. I) a pour objet d’assurer en tout temps, en toutes circonstances et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population…" Les termes de temps de guerre et de temps de paix ont disparu, "les deux notions ne s’opposent plus aussi clairement que dans le passé" selon l’expression du contrôleur général Genevey (Revue de la Défense Nationale oct.1962). La défense n’est plus nationale, le mot est supprimé, elle pourrait être employée contre une partie de la nation. Mais d’où vient la menace ? Les mesures de mobilisation générale, de mise en garde (il s’agit d’une notion nouvelle) ou de réquisition sont prises par le gouvernement "en cas de menace (art 6 de l’ordonnance) portant notamment sur une partie du territoire, sur un secteur de la vie nationale (=chemin de fer, électricité etc.) ou sur une fraction de la population". La menace aussi bien intérieure qu’extérieure est permanente. Il ne s’agit plus seulement de la vieille notion d’agression aux frontières mais de troubles intérieurs. La guerre peut être non seulement nucléaire mais subversive. Des régions de France décrétées zones des armées sont alors soumises à l’autorité militaire sur simples décisions gouvernementales. Les personnes sont mobilisées par le pouvoir, chaque fois qu’il le juge nécessaire et placées sous discipline militaire, l’ordonnance dit sous "statut de défense". Cette législation s’applique aussi bien aux personnels masculins que féminins (art 43 modifié), ce qui ne manque pas de gravité. L’ancien adage qui veut que soit civil quiconque n’est pas militaire, disparaît. La personne peut être placée dans une des catégories juridiques suivantes, soit militaire, soit "sous statut de défense" (c’est-à-dire soumise à l’autorité militaire et au code de justice militaire, art 39 de l’ordonnance), soit civile à part entière. Elle perd cette dernière qualité sur simple décision du gouvernement. A aucun moment la consultation du peuple ou de ses représentants n’est envisagée. Combinez avec les autres possibilités offertes par les textes constitutionnels (notamment l’article 16 de la constitution) on voit mieux encore quelle latitude est offerte au pouvoir : le régime peut devenir totalitaire…

Ainsi qu’il s’agisse de guerre froide ou chaude, la guerre est permanente et générale, elle englobe tout, et le gouvernement en est seul responsable. On peut se demander dans ces conditions si la notion de défense n’a pas subi une mutation. Il serait temps d’en prendre conscience.

B.T.V.

TEXTES CITES

1) Journal officiel du 29 novembre 1938 – Décret du 28 novembre 1938

2) Loi du 11 juillet 1938. J.O. du 13 juillet 1938

3) Ordonnance n°59-147 du 7 janvier 1959 J.O. du 10 janvier 59

4) On peut demander au "Journal Officiel" 26 rue Desaix, Paris 15°, les brochures n° 1033 bis sur l’organisation générale de la défense (4 F)


Voir aussi le récit jour par jour