La Lettre de Brignoles racontait dans chaque numéro, au jour le jour, le quotidien des objecteurs. Les textes de présentation ou de réflexion qui accompagnaient chaque "Lettre" sont rassemblés ici.
Lettre de Brignoles n° 3 - Mai
(datée du 15 juin 1965)
1er et 2 MAI 1965 :
Nous avons été invités à un week-end organisé par Pax Christi de Marseille, à Carry-Le-Rouet ; lieu connu des objecteurs, où certains ont travaillé en 61 sur un chantier de l’A.C.N.V. avant d’être emprisonnés.
Cinq d’entre nous ont répondu à l’invitation, en stop ou en 2 CV poussive. Ils se sont retrouvés tous le soir, avec des jeunes de Marseille autour de la table pour dîner. Ensuite eut lieu la veillée. Ensemble, ils ont essayé de définir l’Espérance du Chrétien.
Le dimanche, après une baignade dans la mer et une partie de volley-ball, petites réunions, l’une sur les projets de Pax Christi, cet été, l’autre sur les implications de l’objection de conscience.
Bon week-end.
7 MAI 1965 :
Ce matin, une note de l’administration nous invite à nous rassembler à 5 h ce soir devant le panneau d’affichage.
17h. Affichage solennel d’une note de service :
« Objet : Manifestations du Mouvement de la Paix dans le Var.
Des manifestations organisées par le Mouvement de la Paix étant prévues en principe les 9 et 23 Mai à Brignoles et dans la région du Sud-Est. Je rappelle que : conformément aux dispositions de l’article 10 de la loi, il est interdit aux appelés du Contingent et exécutants leurs obligations de service au GSP de participer à celles-ci sous peine de sanctions graves. »
Colonel Beltramelli, EMSO, SNPC
Irrités, blasés ou amusés, les objecteurs commentent calmement cette nouvelle interdiction.
Le soir même réunis, nous décidons que seulement ceux qui avaient l’intention d’aller à la marche, iraient.
9 MAI 1965 :
La Marche de la Paix Brignoles-Cadarache commence par la Traversée de Brignoles, 8 objecteurs sont présents mais pour éviter tout aspect de provocation, ils ne joindront la marche que 9 kms après Brignoles.
Les marcheurs silencieux, dignes, porteurs de chasubles, traversent lentement les villages de la région. La manifestation se termine sur un pastis offert par le maire d’un village de la région.
10 MAI 1965 :
4 h. La sirène retentit. Il y a le feu à Flassens. Nous partons en deux vagues séparées d’une heure. Le feu vite maîtrisé, des fermes protégées, deux équipes rentrent le soir-même. Le reste, de surveillance, rentrera le lendemain vers 16 h.
14 MAI 1965 :
Monsieur Lambert convoque ceux qui ont participé à la Marche de dimanche pour leur signifier la punition encourue : 15 jours d’isolement avec demande d’augmentation sévère.
Deux notes de service : la première précisant les conditions de réintégration dans l’armée pour ceux qui auraient l’intention d’en faire la demande ; la deuxième notifiant la suspension du visa de gendarmerie sur les titres de congés de longue durée. Ce que nous réclamions depuis longtemps.
Le soir réunion pour déterminer la conduite à tenir face aux derniers évènements.
Le principe du jeûne public est retenu.
15 MAI 1965 :
Ce midi, à la réunion générale, les modalités du jeûne sont réglées.
Pour la durée, 10 jours semblent assez. Nous commencerons mardi soir. Après beaucoup d’hésitations, nous tombons d’accord pour garder une certaine retenue en ne cherchant à prévenir que les amis proches, les réservistes et l’administration.
Pierrot Rasquier et Roger Paon du SCI sont venus nous voir. Ils nous présentent une camionnette d’intervention d’urgence, judicieusement aménagée, et unanimement admirée.
Le soir à Marseille, trois d’entre nous participent aux exercices de mise en place du Matériel d’Intervention, avec le groupe SCI de la région.
17 MAI 1965 :
A midi, l’un de nous se lève et nous explique brièvement les raisons de sa réintégration volontaire dans l’armée.
Ce soir réunion houleuse entre nous. Tentative de remise en cause du jeûne qui n’aboutit pas. Le départ du jeûne est reporté au mercredi soir.
18 MAI 1965 :
6 heures du matin : un groupe part à Marseille chercher des cadres de fenêtres et de portes.
Un projet de lettre à M. le Préfet Raoul est établi ainsi qu’un appel aux réservistes.
16 objecteurs signent la lettre définitive et s’engagent à jeûner dix jours.
19 MAI 1965 :
Une note de service est affichée :
jusqu’à parution d’un règlement de service intérieur du corps qui fixera, suite au règlement de discipline, les attributions et le fonctionnement du GSP, les appelés du contingent exécutant leurs obligations de service au titre de la loi ne peuvent être tenus pour responsables de l’organisation ou exécution du fonctionnement administratif de l’unité.
Le fonctionnement administratif de l’unité et la responsabilité qui en découle, de même que les diverses missions confiées au groupement incombent au seul chef de service.
En conséquence, les critiques et appréciations formulées par les appelés ne peuvent être admises et le commandant du GSP voudra bien rendre compte dans les meilleurs délais des manquements et difficultés qu’il rencontrerait éventuellement à ce sujet ;
signé :
Le Thiais Préfet adjoint au SNPC.
Ce soir, leur dernier repas fini, les jeûneurs se réunissent dans une tente pour écouter des conseils sur la technique de jeûne.
21 MAI 1965 :
A partir d’aujourd’hui, le docteur viendra tous les jours pour examiner les jeûneurs, tension, cœur, poids, etc.
22 MAI 1965 :
Un des nôtres est envoyé à l’hôpital pour examen du cœur.
23 MAI 1965 :
Aujourd’hui se réunit le Congrès départemental du Mouvement de la Paix à Brignoles. Considérant cette réunion comme privée puisqu’elle se passe en salle close avec carte d’invitation, six d’entre nous vont malgré l’interdiction.
14 h. Des délégations des divers mouvements pacifistes de la région viennent déposer une motion. M. Lambert n’accepte pas de les recevoir avant 5 h.
17 h. Les motions de protestation contre l’interdiction de la marche sont déposées par l’ACNV de Toulon, Aix, Marseille, par le Mouvement de la Paix d’Aix et par Pax Christi de Marseille. Le Congrès du Mouvement de la Paix a envoyé une motion portée par un conseiller général, un membre du conseil national du Mouvement et le président du comité de Brignoles et signé par les UD-CGT et CFDT ainsi que par la FEN.
24 MAI 1965 :
A la suite de réticences du directeur de l’hôpital de Brignoles, notre " hospitalisé " est envoyé à l’hôpital militaire de Toulon.
A partir d’aujourd’hui le travail est interdit aux jeûneurs.
Visite cet après-midi de M. le pasteur Roser (MIR). Echange de vues intéressant entre lui et nous, de même qu’avec M. Lambert.
25 MAI 1965 :
L’un de nous arrête son jeûne à la suite d’une crise de foie.
Un article sur notre camp parait dans le Figaro. Les avis se partagent pour l’apprécier ou le condamner.
26 MAI 1965 :
Des journalistes de France-Soir prennent contact avec le camp.
Un objecteur qui ne jeûnait pas est envoyé à l’hôpital pour crise de foie.
28 MAI 1965 :
Petits articles dans le Provençal et le Monde. Articles identiques. Dans le Monde une phrase a été enlevée, ce qui donne l’impression que le jeûne a été fait contre la punition et non contre l’interdiction comme c’est le cas.
Feu à Saint-Maximin. Nous sommes indisponibles : manque de matériel et d’hommes.
29 MAI 1965 :
Les jeep-tonnes pour feu de forêts sont arrivées. Les clés de contact suivront.
Fin du jeûne. La réalimentation commence avec un jus d’orange.
30 MAI 1965 :
Article paru dans le Petit Varois, journal du parti communiste de la région. Article sympathique quoiqu’il y soit écrit 8 jeûneurs au lieu de 16.
L’administration faisant des difficultés pour notre réalimentation nous sommes obligés d’acheter pour 50 frs de fruits.
Le NUMERO 2 de la "LETTRE" a été tiré à : 350 EXEMPLAIRES
et il est revenu à 80,00 NF.
Ce mois-ci, le tirage a été porté à 500 exemplaires.
|